23h. Enfin je crois. Le vol s’est passé à merveille jusqu’à présent, mais voilà que mon cœur commence à battre la chamade : par le hublot m’apparaissent les milliers de lumières sillonnant l’île des Dieux, perdues dans les ténèbres nocturnes. Confortablement assis sur mon siège 26B (en fait j’en sais rien, je ne me rappelle plus du numéro), je tremble de peur. D’ici quelques petites minutes, je me retrouverai perdu dans l’agitation de Denpasar sous une nuit menaçante. Jamais je n’aurais dû partir pour Bali.
Pourtant, deux mois étaient tranquillement passés pendant lesquels j’avais tout préparé. TOUT préparé. Faire le tour de l’île à pied, en faisant une halte chaque soir dans une maison d’hôte que j’avais repérée sur mon Lonely Planet australien. C’était le projet et j’avais tout préparé. J’avais même rêvé de ce moment où j’atterrirais, seul face à moi-même, sur ce trésor d’Indonésie. Ce 11 novembre 2012, j’étais en plein cauchemar : et cette terreur, on ne la prépare pas.
Arrivée et retour
Sortie de l’avion. 35 degrés et une humidité qui remplace ta douche du soir. Un rat court se cacher dans la rampe d’embarquement.
« Allez Olivier, tu suis la masse de touristes et tu t’y retrouveras automatiquement ! Et pour atteindre ta maison d’hôtes il devrait bien y avoir un taxi qui connaît l’endroit, même si tu n’as pas l’adresse exacte… ».
Le flot des passagers se répartit maintenant en files pour aller prendre leurs visas. Je fouille dans mes poches. Pas de passeport. Je fouille encore. Pas de passeport. Soudain c’est la sueur froide. Sans passeport, pas de visa, sans visa, pas de voyage à Bali…
Un flash finit par éclaircir mon esprit. J’ai laissé mon passeport à ma place dans l’avion. Comme un dégénéré en fait.
Retour à la case départ ! Mon premier contact avec la population balinaise se fait avec un agent d’entretien de l’avion cherchant à comprendre pourquoi diable je désire retourner dans l’avion. Pour beaucoup de gens, la première impression qu’ils se font à leur arrivée dans un pays est négative ; ça n’a pas loupé pour moi. L’homme parle un anglais plus que sommaire, et il peine à comprendre mon vocabulaire secoué par le stress. Il finit par me laisser passer sans trop mener son enquête.
A mon retour dans le hall de l’aéroport, toute la masse de touristes a disparu. Me voilà bon dernier pour payer mon visa. 25 000 roupies indonésiennes. L’équivalent de 25€, l’équivalent de que dalle pour un visa. Autre bonne nouvelle, mes bagages sont bien arrivés. Ah non pardon, je n’avais pas de bagage, juste un sac Eastpak pour trois semaines – déjà perché sur mon dos depuis vingt minutes.
Je snobe les prospectus pour touristes – ayant déjà préparé tout mon itinéraire avec soin – et m’empresse de convertir un peu d’argent en monnaie locale (oui c’est la roupie indonésienne, vous avez suivi). Enfin, je me dirige vers la sortie, vers la liberté !!
L’Enfer à travers la vitre
Tu t’attends à quoi, toi, quand tu sors d’un aéroport dans une contrée éloignée ? Au soleil s’abattant sur des rizières à perte de vue ? A des gratte-ciel dont on ne verrait pas le sommet ? Qui sait…En tout cas, à un monde complètement différent, pas vrai ? Ce sentiment si unique de se sentir comme un explorateur, comme si tu étais Vasco de Gamma, Christophe Colomb, ou encore Americo Vespucci…quoi de plus magique.
25 chauffeurs de taxi se ruent sur moi en hurlant je ne sais quoi. Je ne vois que des visages défigurés par l’appât du gain que je représente. Christophe Colomb est bien loin du pigeon occidental que je représente pour eux. Tant pis pour la magie, tant pis pour le rêve. C’est l’Enfer qui se dresse autour de moi dans un chaos de bruit, de sueur et d’agitation.
Mon premier réflexe est de fuir de cette cohue pour prendre une première bouffée d’air balinais. Les cris s’éloignent, s’étouffent. Je reprends mes esprits. Je ne sais pas comment me rendre au Matra Bali GuestHouse. J’ai juste le nom de la rue – dont l’immensité m’est encore inconnue à cet instant-là. « Bon. Il va bien falloir que je prenne un taxi au final ».
Je jauge du regard les quelques chauffeurs de taxi excentrés du groupe, en espérant y trouver celui pour lequel je nourrirai, d’instinct, le moins de méfiance. Celui-là, adossé au mur là-bas ! C’est lui qu’il me faut !
- Lui : 30 $
- Moi : 10 $
- Lui : 25 $
- Moi : 15 $
- Lui : 20 $
- Moi : 17 $ ?
- Lui : OK !
Pas con, j’avais lu là-dessus, je savais que les taxis essayaient toujours d’arnaquer les touristes – heureusement j’ai su négocier !
Je découvrirai plus tard que je lui avais payé l’équivalent à Bali d’une villa avec piscine plus un mois de vacances à Paris plus la moitié des bijoux de la Reine d’Angleterre. Merde.
Nous montons sans perdre de temps dans son véhicule, pour bien vite se retrouver parmi des millions d’autres taxis agglutinés à la sortie du parking de l’aéroport. Il entame la discussion pour faire passer le temps ; je joue le jeu. Il me dit que ce ne sera pas facile pour lui de trouver l’adresse que je lui ai indiquée. Inquiétant…
Comme un spectateur devant son écran, je scrute le moindre détail perceptible à travers la vitre du taxi. Des taudis, partout. Des chiens errants à chaque coin de rue. Des milliers de scooters déferlant dans une totale anarchie routière, tels des lucioles affolées par la tempête. J’ai l’impression d’observer une scène post-apocalyptique depuis la douce banquette de mon taxi. Le seul problème, c’est que je m’apprête à passer trois semaines seul dans ce chaos.
De l’Enfer au Nirvana
Mon chauffeur finalement bien sympathique finit par trouver la merveilleuse devanture de Matra Bali Guesthouse. Sauvé – c’est ce que je me dis enfin, alors que les douze coups de minuit vont bientôt sonner. J’espère simplement que quelqu’un sera là pour m’accueillir. Je m’imagine un bref instant coincé dehors, sans chambre où dormir, une fois le taxi reparti.
Le vrombissement du véhicule s’éloignant, c’est le hurlement soudain des chiens en cage placés juste là, à l’entrée de la maison d’hôtes, qui manque de me faire avoir une attaque. Alertée par les aboiements, se dirige vers moi depuis le bout de l’allée une femme en robe de chambre de soie blanche, rayonnante au milieu des ténèbres. C’est elle, c’est ma sauveuse. Je m’attache à elle comme instinctivement – je ne le sais pas encore, mais elle prendra une place importante dans mon périple. Plus elle s’approche, plus je décèle la fatigue sur son regard : elle devait m’attendre depuis déjà longtemps…
Plusieurs infinités de pensées me viennent à l’esprit. Je n’en réponds aucune ; je me contente de me présenter, puis de la suivre. Nous traversons la cour et Vicky me présente ma chambre : magnifique. Un grand lit double, une pièce spacieuse et calme, et surtout ventilée. Voilà le repos que je désirais tant. Je quitte mon ange gardien pour la nuit, et me laisse tomber dans les bras de Morphée.